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Mucky Fingers
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27 février 2006

Arctic Monkeys: Paris Trabendo 2006

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L'effervescence commence à la sortie de la station Porte de Pantin, où des mecs acostent les gens pour savoir s'ils ont des places à vendre. Devant le Trabendo, les tickets estampillés "Arctic Monkeys vendredi 24 février 2006" se revendent sous le manteau jusqu'à 120 euros (prix officiel: 22euros). Le quatuor anglais vient à peine de sortir son premier album, et il y a quelques mois seulement, personne (ou presque) ne connaissait le groupe. Alors comment en est-on arrivé à une telle agitation autour de ces primates à peine sortis du berceau (19 ans de moyenne d'âge)?

Résumé des faits: Début 2005, des démos circulent sur les forums des Others et des Libertines. Les fans font circuler le spliff, un mélange de tout ce que la nouvelle vague rock a produit de meilleur depuis 2001, date de la sortie de "Is This It", le chef d'oeuvre des Strokes. Arctic Monkeys livre en pâture ses chansons sur la toile, grâce notamment à Myspace.com. Le noyau de fans grossit très vite, les lyrics d'Alex Turner parlent. Et les prestations live du groupe confirment qu'il se passe quelque chose de spécial du coté de Sheffield. On peut applaudir les Monkeys à Reading au mois d'août. Lors du fameux festival rock, Alex annonce l'arrivée de son groupe par sa déjà célèbre citation :"Don't believe the hype, Reading. They haven't hyped us up enough!". Le buzz va très vite, aussi rapide que les mp3 diffusés à la vitesse de la lumière. Le single "I Bet You Look Good On The Dancefloor" se classe à la première place des Charts britanniques au mois d'octobre. Bientôt le NME relaye l'affaire, et propulse le combo en couverture du mag. La sortie de" Whatever People Say I Am, That's What I'm Not" le 23 janvier 2006 marque un événement sans précédent dans l'histoire du disque. Le label Domino qui avait initialement pressé 250 000 exemplaires de la galette se trouve obligé d'effectuer immédiatement un deuxième tirage pour faire face à la pénurie. Le nombre de gens qui veulent acheter l'album est hallucinant - 363 735 la première semaine. Et mieux encore, le deuxième single "When The Sun Goes Down" renouvelle l'exploit en se classant numéro 1 du Top. Depuis les Beatles, on n'avait pas vu naître une telle ferveur autour d'un groupe. Et ce soir, dans la petite salle du Trabendo, l'ambiance est évidemment électrique.

Ce concert a des airs de rendez-vous historique, car il représente le premier vrai concert d'Arctic Monkeys donné pour son propre public en France. La télé interviewe des gens à l'entrée, et visiblement, bon nombre de VIP et de journalistes ont été invités, y compris l'AFP. Le groupe de première partie Mystery Jets remplit parfaitement son contrat, à savoir passer avant Arctic Monkeys. Il distille à l'assistance un savant mélange de garage rock, de psychédélisme alambiqué et de poésie surréaliste. Ces londoniens parlent très bien le français, ce qui a le mérite de créer une bonne connexion avec le public. Bientôt le groupe quitte les lieux. On est à quelques secondes du coup d'envoi. Le calme avant la tempête. Les gens se massent autour de la scène pour être au plus près des musiciens. Les lumières s'éteignent sans prévenir sur une chanson hip hop. Le club des quatre de Sheffield foule le sol du Trabendo. Une bande de lads qui impressionne immédiatement par sa jeunesse et sa justesse. Des ados salement doués, du pro de chez pro absolument surprenant. Ces Monkeys ressemblent à des curiosités de foire, des freaks comme on peut en voir dans "Elephant Man" de David Lynch. A part que ces créatures-là ne terrorisent pas leur monde, bien au contraire, elles provoquent l'adoration. Et l'euphorie générale. Les chansons dépotent, comme autant d'hymnes ravageurs repris en choeur par une foule survoltée. Le groupe passe en revue la totalité des titres de son album, leur ordre à peine changé. L'interprétation transpire la monstruosité tant l'énergie semble décuplée. Jamie "Cookie" Cook maltraite  les cordes de sa Telecaster, tandis qu'Andy le gros bassiste fait vrombir la sono en l'assénant de basses fuzz et d'effets de distorsion telluriques. Alex Turner, jeans, Clarks, et Strato blanche a les airs d'un Frodon trashy déchiré. Il se descend deux bouteilles de "Cidre Traditionnel" en sortant des boutades au public hilare. Visiblement, un nombre impressionnant d'anglais a fait le déplacement, on se croirait en terre d'Albion. Le groupe joue à cent à l'heure. Les "Dancefloor", "Scummy Man" et autres "Fake Tails" mettent le feu aux poudres. Pas chiens, les garnements proposent une toute nouvelle chanson fort prometteuse. Un rock résolument classique, mais follement excitant. Certes, ce goupe n'apporte strictement rien de nouveau au genre. Mais ses riffs ultra-efficaces, ses mélodies intemporelles, et le talent fou d'Alex pour raconter des histoires font toute la différence. Car c'est à ce niveau que se situe l'origine du succès fulgurant du groupe: plus qu'avec aucun autre, la jeunesse anglaise s'identifie parfaitement aux textes brut de décoffrage de Turner, et à leur poésie du quotidien. Il fallait que ça tombe sur des lads d'une ville du nord, des mecs pas tout à fait nets, mais définitivement talentueux et attachants. Comme une décennie avant eux, les mancuniens d'Oasis avaient mis sens dessus-dessous l'Angleterre. Turner et sa bande émergent de ce terreau fertil. Si l'on n'est pas né du côté de Sheffield, de Manchester ou de Liverpool, on ne comprendra jamais totalement cette mélancolie qui leur colle aux baskets depuis la nuit des temps. Celle des maisons en briques, du chômage, des pubs, des clubs, de l'usine, des matchs de foot. Il suffit de regarder la photo du single de "When The Sun Goes Down" pour en avoir un aperçu-carte postale. Et Arctic Monkeys a bien l'intention de conserver cette authenticité aussi longtemps qu'il le pourra, de garder son âme à tout prix. A voir le titre de l'album, sa pochette, et le récent refus de passer à Top Of The Pops, on a tout bonnement l'air de croire au parcours sans faute. La jeunesse a délibérément besoin de cette criante vérité. Ras la coupe au bol des clips MTV moisis, des lyrics asceptisés, des majors qui veulent imposer des barrières sur l'espace de liberté que peut représenter le net. Une révolution culturelle est en marche, et le groupe de Sheffield en incarne le symbole le plus emblématique, autant que le plus inattendu. Tout à coup, ces quelques chansons sorties de nulle part comptent énormément, car elles deviennent cruciales pour cette génération. Comme de providentiels points de repères, comme l'appropriation d'un précieux patrimoine. Voici enfin le moyen d'exprimer sa soif de liberté et de creuser le fossé avec la génération précédente, celle de nos parents, avec tout ce qu'elle comporte de déception post-soixantehuitarde et de libéralisme étouffant. Ce 24 février au Trabendo, on vient pour s'éclater, assister à un concert humain, authentiquement rock et débridé - des Monkeys proches du public, un esprit festif, comme on irait au pub boire des pintes et écouter de la bonne musique. Le concert est plié en à peine une heure. Mais soixante minutes intenses, ô combien importantes. "Un peu comme voir les Beatles à Hambourg" peuvent penser certains. Et il y a de ça effectivement...

Photo: Floriane

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