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Mucky Fingers
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20 février 2006

Placebo: Création, Commerce & Complications

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Le nouveau Placebo intitulé "Meds" sera disponible (officiellement) le 13 mars prochain. Le disque est fort attendu puisqu'il est censé confirmer l'ascension commerciale du combo, et l'installer parmis les "artistes rock incontournables". Mais incontournables pour qui? Depuis le succès énorme de "Sleeping With Ghosts" et de sa tournée à rallonge, tout a basculé. Les fans de la première heure se sont sentis trahis. Car le groupe n'a pas hésité à se vendre pour rafler la mise. Comme si Brian Molko avait vendu son âme au Diable (comprendre star system-business-marketting-fric) pour s'assurer d'un succès implacable. Et l'on ne pardonne pas les choses qui font mal: concerts en mode pilotage automatique, passages radio/télé à outrance jusqu'à déclenchement de nausée, multiples rééditions de l'album histoire de s'assurer que tout le monde l'a bien acheté, consommé, digéré. Puis les fuckin'Hit Machine et couvertures de mag pour ado prépubères avec posters à punaiser dans ta chambre. Est-ce que le fan de rock peut accepter que son groupe culte ne se rabaisse autant pour faire du fric? Le résultat fait peur lorsque l'on voit ces affiches dans le métro depuis quelques temps où les trois membres de Placebo posent aux cotés de M Pokora et de Pink pour le NRJ Live de Bercy. Pas étonnant que bon nombre de connaisseurs désertent, écoeurés. Ils ne comprennent pas l'attitude du groupe qui ne semble pas à sa place - sur ces affiches, sur ces radios, sur ces journaux... Il n'a pas besoin de ça. La situation est fort regrettable car cette formation est excellente, talentueuse, unique en son genre. Mieux que ça: Placebo est un groupe générationnel, capable d'exprimer les angoisses d'une époque. Et il a su en capter le son. Dans le milieu du rock aujourd'hui, très peu de groupes peuvent prétendre sonner "actuel" - et non "rétro" comme 90% de ceux qui émergent. Brian Molko puise certes dans les pâturages new wave et post punk son rock torturé, mais il s'en affranchit allègrement pour en définir de nouveaux rivages. Le chanteur n'emprunte véritablement au passé que son décadantisme et la poursuite de la grande tradition des dandys, des stars androgynes, des Bowie, des Oscar Wilde. Il a ce côté fascinant, oscillant entre vieille Angleterre et modernité trash. Dédaigneux, arrogant, sûr de lui-même et de son Art, on peut bien le fustiger pour son coté businessman, il répondra qu'il ne fait pas dans le bénévolat. On lui pardonne tout à l'écoute de ses chansons: Ce "Meds" à paraître est un petit chef d'oeuvre rock. Un disque comme on en entendra peu dans les années 2000. Un condensé émotionnel de mélodies racées, divinement arrangées. A l'écoute de "Sleeping With Ghosts", on pouvait craindre une dérive vers des climats electro, qui auraient pu faire échouer le groupe sur des terres glaciales, désincarnées, deshumanisées. Il n'en est rien. Placebo retrouve toute sa charge émotionnelle au travers de ces treize chansons construites comme une descente aux enfers. On se trouve embarqué sur les rapides d'un Styx bouillonnant. Ici et là, des titres émergent, fichant la chair de poule, à commencer par le duo tuant avec VV des Kills, puis ce "Space Monkey" spectral (sans doute la meilleure performance vocale de Brian à ce jour), en passant par l'industriel "Infra-Red", véritablement traumatisé. Il fallait que Placebo sorte le truc qui tue, nous ponde l'Oeuvre, au moins un album proche du niveau de "Without You I'm Nothing". Face au déluge commercial de ces derniers temps, il devenait urgent pour le groupe de légitimer ses galons, d'asseoir sa crédibilité rock, de confirmer son ascension par la qualité. A l'écoute de titres du calibre de "Post Blue", ou de la trempe d'un "Pierrot The Clown", on peut être rassuré, car le pari est gagné. Et l'album dans sa globalité s'avère être d'une cohérence inouïe. Dimitri Tikovoï a tout compris à Placebo, et n'hésite pas à libérer sa musique de tout superflu - disparus les motifs électroniques et les traficotages en tout genre. La voix de Brian épurée se trouve enfin mise en avant, à son réel avantage, sublimée par une production brute, dépouillée. Tout le projet se trouve concentré sur l'essence même des chansons du groupe à savoir sur l'émotion exprimée. On en retire une oeuvre complèxe, d'un romantisme contemporain fascinant. Placebo en combo perfectionniste jusqu'au bout des ongles entraîne son auditeur dans les recoins les plus sombres de l'âme. Le malaise est constant, implacable. Brian avoue puiser son inspiration dans l'aspect morbide des émotions humaines. Il tire la beauté de sa musique de cette inextricable noirceur, du mal être quotidien, de son mal du Siècle. La voix et les guitares appellent son auditeur vers des hauteurs célestes, tandis que la batterie et les basses l'attirent inexorablement vers les profondeurs abyssales - tel l'Enfer décrit par Dante: l'endroit où l'on abandonne toute espérance. A la manière de Cure ou de Joy Division, Placebo recrée son Spleen, et transfigure en ses propres termes ce que pouvait signifier la bile noire de Baudelaire. Ce "Meds" regorge assurément de drogues fantastiques, à consommer rapidement et sans modération - avant l'overdose médiatique programmée des prochains mois...

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